ROUSSEAU ET LA BOTANIQUE
Jean -Jacques Rousseau, un botaniste passionné (1762-1778)
« […] Je ne connais point d’étude au monde qui s’associe mieux à mes goûts naturels que celle des
plantes, et la vie que je mène depuis dix ans à la campagne n’est guère qu’une herborisation continuelle […] »
Les Confessions, livre V
La pervenche, illustration des Confessions par Hédouin
Initié à la botanique dans sa jeunesse par madame de Warens, intéressée par les vertus
médicinales des plantes, le jeune Jean-Jacques prend alors cette science « en une sorte de
mépris et même de dégoût » et ne la regarde que « comme une étude d’apothicaire ». Dans ses
Confessions, il regrette ce rendez-vous manqué avec la botanique et se souvient avec transport
d’une charmante promenade avec sa protectrice qui avait attiré son attention sur une
pervenche. Trente années plus tard, la vue de cette fleur lui procure une émotion intense.
Son véritable goût pour la botanique naît pendant l’exil qui suit immédiatement la
condamnation de l’Emile le 9 juin 1762. Sous le coup d’un Décret de prise de corps, Rousseau
quitte Montmorency pour rejoindre sa terre natale et il apprend en chemin la condamnation de
ses écrits à Genève et dans les Etats de Hollande.
C’est à Môtiers (principauté prussienne de Neuchâtel), en juillet 1762, que Rousseau
découvre les joies de la botanique en compagnie du docteur d’Ivernois. Cette passion nouvelle
ne le quittera plus et il n’aura de cesse de se perfectionner : « […] le goût de la botanique […]
donnant un nouvel intérêt à mes promenades me faisait parcourir le pays en herborisant sans
m’émouvoir des clameurs de toute cette canaille, dont ce sang froid ne faisait qu’irriter la
fureur » (Les Confessions, livre XII).
Dans le même temps, il publie La Lettre à Christophe de Beaumont et ses Lettres
écrites de la Montagne, en réponse aux Lettres écrites de la campagne du procureur général
Tronchin. Les Lettres écrites de la Montagne, en décembre 1764, déclenchent un véritable
séisme et sont brûlées à Paris en mars 1765. Voltaire publie anonymement le Sentiment des
Citoyens, un libelle contre Rousseau. En septembre 1765, la maison de Rousseau est attaquée
par des villageois, et il quitte Môtiers. Il se réfugie sur l’Ile-Saint-Pierre, en terre bernoise; où
il envisage de rédiger une flore de l’île (Flora petrinsularis) qu’il parcourt avec l’ouvrage
Systema naturae du savant suédois Charles Linné sous le bras. Il rédige son Projet de
Constitution pour la Corse.
Expulsé par le gouvernement de Berne en octobre 1765, il part pour l’Angleterre et
arrive à Londres en janvier 1766, où il est accueillit par le philosophe David Hume.
Il reprend ses herborisations et continue la rédaction des Confessions. Il rencontre la
Duchesse de Portland, botaniste amateur et passionnée avec laquelle il entretient une
correspondance « botanique » très riche.
Le pressentiment d’un nouveau complot et sa querelle avec Hume le poussent à fuir
l’Angleterre au printemps de l’année 1767. Il rejoint la France et séjourne à Fleury-sousMeudon,
puis à Trie-Château chez le prince de Conti.
Il y reçoit en 1768, l’herbier du jeune naturaliste Joseph Dombey qu’il emportera
ensuite à Lyon, Grenoble, Bourgoin, puis à Monquin où il réside jusqu’en avril 1770.
Rousseau travaillant à son herbier par Voullemier, Musée JJ Rousseau
De retour à Paris en 1770, Rousseau commence les Considérations sur le
gouvernement de Pologne et son Dictionnaire des termes d’usage en botanique ; il se remet à
copier de la musique, herborise à nouveau, et étudie la botanique au Jardin du Roi.
Le soir, il identifie, classe, prépare les échantillons en y apportant un soin méticuleux,
célébrant la nature qui l’environne : « […] je contemplerai, je cueillerai, j’arracherai, je
diviserai, j’anatomiserai peut-être, mais je n’irai point d’une main stupide et brutale pilant et
déchirant [les] fragiles beautés que j’admire. Je veux que mes yeux en jouissent, qu’ils les
observent, qu’ils les épuisent, qu’ils s’en rassasient s’il est possible : ces figures, ces couleurs,
n’ont pas été mises là pour rien » (Fragments de botanique).
En 1771, Rousseau décide de confectionner des herbiers à l’usage des amateurs afin de
leur donner le goût de la botanique. Cette «pédagogie de la botanique » s’exprime tout
particulièrement dans l’herbier qu’il réalise pour Madelon Delessert et qu’il accompagne de
huit lettres. En mai 1778, il accepte l’hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville. Il
herborise avec le second fils du marquis.
La mort le surprend au retour d’une ultime promenade le 2 juillet 1778.
Contemporaine de ses grands écrits autobiographiques (Confessions, Dialogues et
Rêveries), la botanique s’impose d’année en année comme une activité « consolante » en lien
avec ses « goûts naturels ». Elle libère l’esprit, rappelle le doux temps des Charmettes et lui
permet de renouer des liens avec ses contemporains. La botanique va « imposer silence à
[son] imagination et fixer son regard sur les objets qui l’environnent et qui lui font détailler le
spectacle de la nature »…(les Rêveries du promeneur solitaire, septième promenade). Elle est
également une célébration de la nature qui le conduit à des accents quasi-religieux lorsqu’il
évoque le « Grand être » ou « le Suprême Ouvrier […] qui paraît avoir redoublé d’attention
pour [les plantes] qui servent à la nourriture de l’homme et des animaux, comme les
légumineuses ». (Troisième lettre sur la botanique, 16 mai 1772.)
J.J. Rousseau et la vue du pavillon qu'il habitait à Ermenonville, d’après Meyer, Musée JJ RousseauMontmorency